Les femmes trans sont-elles des violeurs? Une réponse à J.J. Barnes (et à Christine Delphy)

A notre consternation, Christine Delphy s’enfonce encore un peu plus dans la transphobie caractérisée en partageant sur son blog la traduction d’un article de J.J. Barnes intitulé « Le lesbianisme est la cible d’attaques, mais pas de la part de ses adversaires habituels« . Le premier paragraphe donne le ton : « Tenter d’imposer aux lesbiennes des rapports sexuels avec des gens munis de pénis ressemble beaucoup trop à la pratique du « viol correctif » par ceux qui pensent que la sexualité lesbienne peut être «  guérie ». »

Après une énumération des crimes lesbophobes dans le monde, l’auteure monte au créneau contre les personnes transféminines, qu’elle mégenre allègrement. Elle explique que des pénis ne peuvent pas être féminins, c’est-à-dire que les femmes trans qui ont un pénis ne sont pas des femmes.

Son raisonnement est le suivant : une lesbienne déteste les pénis, et dire qu’une femme lesbienne qui refuse des rapports avec des femmes ayant un pénis est cissexiste, transphobe ou TERF, c’est de la coercition pour la forcer à avoir des rapports avec des gens qui ont des pénis, c’est-à-dire des hommes, donc ça relève de la culture du viol lesbophobe, c’est du viol.

Le raccourci est tellement effarant qu’il faut le démonter à plusieurs niveaux:

  1. le lesbianisme n’est pas nécessairement lié aux parties génitales, le lesbianisme ne se réduit pas à la haine des pénis, c’est d’ailleurs un discours habituellement lesbophobe. De plus, cela sous-entend que des lesbiennes qui sortent avec des meufs trans qui n’ont pas eu de vaginoplastie ne sont pas réellement lesbiennes.
  2. l’auteure ne dit rien des femmes trans qui ont eu une vaginoplastie : elle réduit donc l’identité de genre aux parties génitales : une personne qui a un pénis est un homme, une personne qui  un vagin est une femme. Outre que cela fait complètement l’impasse sur les personnes intersexes, cela va complètement à rebours des deux courants féministes principaux, celui qui considère que le genre est uniquement un statut social (et que donc des personnes trans opérées restent de leur genre assigné) comme celui qui considère que l’identité de genre est personnelle (et que donc les personnes doivent être respectées dans leur genre quelle que soit leur génitalité). En clair si on suit son raisonnement, il suffirait d’une opération pour « changer réellement de genre »,
  3. la caractérisation de « cissexiste », « transphobe » ou « terf » est une définition politique. Elle correspond à une société donnée, dans laquelle la transmisogynie est endémique et où certains courants du féminisme, en particulier aux Etats-Unis, excluent les femmes trans. Mais cette société exclue d’autres catégories du champ du désir : les personnes en situation de handicap, les gro.sse.s, certaines populations racisées, etc.  Critiquer la construction sociale du désir, de façon individuelle et collective, est légitime. On peut et on doit dire que nos désirs sont construits, et que oui, pour beaucoup, nous sommes grossophobes, validistes, racistes, transphobes etc dans nos désirs. Est-ce que cela signifie qu’il faut « se forcer »? Absolument pas.
  4. C’est là l’hypocrisie de l’article. L’auteure cite un article intitulé « 14 things you should know before dating a trans girl » (littéralement : « 14 choses que vous devriez savoir avant de sortir avec une fille trans »), comme preuve de la pression mise aux lesbiennes. C’est particulièrement malhonnête car l’article s’adresse aux filles comme aux garçons et se place dans la ligne du conseil, au cas où des personnes seraient déjà ouvertes à l’idée!  Personne ne dit qu’il faut se forcer. L’auteure cite encore Riley J Dennis et sa vidéo en commentant « Dennis y concluait que si vous êtes une lesbienne qui refuse d’envisager des relations sexuelles avec une personne munie d’un pénis, vous êtes « cissexiste » ».  Examinons ce que dit réellement Dennis : « ces accusations d’homophobie donnent l’impression que j’essaie de convaincre les lesbiennes d’aimer les hommes, mais ce n’est pas le cas. J’essaie de montrer que les préférences pour les femmes avec des vagins contre les femmes avec des pénis pourraient être partiellement formées par l’influence d’une société cissexiste (…) Je dois souligner que je ne suis pas en train de dire que vous devez faire quoi que ce soit sans consentement. Je suis une grande fan du consentement affirmatif, et vous ne devriez jamais sentir de pression à avoir des rapports sexuels avec qui que ce soit. Ce n’est pas une question de personnes. Il ne s’agit pas de dire « Vous devez avoir des rapports sexuels avec une femme trans ou vous êtes cissexiste. » Il s’agit de dire que vous devriez examiner les influences sociétales dans vos préférences. Il y a une différence massive entre se focaliser sur des scénarios individuels et considérer des problèmes et des attitudes sociétales plus larges. (…) Je n’ai jamais dit que qui que ce soit devrait avoir des relations sexuelles avec une personne qui a un pénis si iel ne le veut pas. » Le degré de malhonnêteté et de malveillance de J.J. Barnes est clair.
  5. Prétendre qu’accuser une personne de transphobie, de cissexisme, ou la traiter de TERF constitue un acte de coercition pour forcer la personne à avoir des rapports sexuels avec des femmes trans possédant un pénis méconnaît gravement la situation réelle des rapports sociaux. Il est d’autant plus étonnant qu’une féministe matérialiste comme Delphy se hasarde à relayer ce genre de fantaisies. Les femmes trans, qui plus est lesbiennes, sont en minorité numérique et politique par rapport aux lesbiennes cis. Une accusation de transmisogynie ne nuit à personne dans notre société, à part dans des tous petits groupes queer extrêmement restreints. Une lesbienne rejetant les femmes trans avec pénis n’encourra aucune sanction sociale ou matérielle.

 

En réalité, cet article est un cheval de Troie des TERFs qui prétendent se soucier des lesbiennes pour se légitimer. En mélangeant le refus de rapports sexuels avec des personnes disposant d’un pénis, ce qui est un  goût construit individuellement que personne ne remet en cause, et l’exclusion politique des femmes trans des espaces et mouvements féministes, l’auteure cherche à entraîner ses lectrices dans une démarche politique qui va bien au-delà des préférences sexuelles. On le voit bien quand elle cite l’article de  Shannon Keating « Can Lesbian Identity Survive The Gender Revolution? » en prétendant que cette dernière « soutient que les lesbiennes qui se refusent aux transfemmes sont des TERF » ; encore une fois c’est une affirmation malhonnête car le seul passage où Shannon Keating évoque ensemble les TERFs et les préférences génitales, c’est précisément pour dire que même certaines lesbiennes qui ne sont pas TERFs rejettent les trans lorsqu’elles explicitent leurs préférences sexuelles. C’est bien J.J. Barnes qui cherche à assimiler les deux, et à faire croire que les personnes qualifiées de TERFs sont stigmatisées pour leurs préférences sexuelles, alors qu’il s’agit d’un courant politique bien différent.

En bref, J.J. Barnes instrumentalise ici le viol correctif des lesbiennes par des hommes cis pour légitimer une politique d’exclusion des femmes trans des espaces féministes; il est difficile de faire plus écœurant. Mais qu’attendre de plus d’une femme cis et hétérosexuelle qui construit sa carrière en écrivant sans vergogne sur des oppressions qui ne la concernent pas?

 

 

 

2 commentaires

  1. des larges pans du mouvement Féministe, en particulier dans les pays anglo saxons, excluent les femmes trans. une généralisation sui me semble hasardeuse-au delà du terme pays anglo-saxons qui est incorrect d’un point de vue de la composition des populations et fait déjà une généralité sur deux pays GB et USA où les traditions du mouvement Féministe sont assez différentes.
    On sait beaucoup sur les débats américains vu la taille du pays et la puissance de son industrie d’édition. Pour autant je ne pas si les positions trans exclusives dont des larges pans du mouvement. Pour la GB j’ai vu de telles positions s’expriment maid malheureusement le mouvement étant faiblr je ne sais pas di on peut parler des larges pans .

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